Lettre à Myriam

A l’été 1998, je faisais un stage au sein du magazine municipal de B., sous ton regard. Je fêtais mes 20 ans le jour de l’arrivée du tour de France, et toi tes 40 ans dans les mêmes eaux. Tu avais invité un petit groupe de personnes, il y avait Cédric, le caméraman costaud à qui je demandai plusieurs fois de s’étendre complètement sur moi, ce qui m’apaisait incroyablement. Il disait : on flirte, je n’avais jamais entendu ce mot. Il faisait chaud, on était sur ta terrasse. Et puis quelqu’un t’a demandé ce qui allait changer avec tes 40 ans ; c’est pas rien 40 ans, c’est l’essentiel de tout ce qu’on peut expérimenter dans une vie : l’amour, les enfants, les voyages, un métier, et toute la somme de nuances émotionnelles possible. On avait 20 ans d’écart, et je t’observais avec curiosité, tu aurais pu être ma mère ! Tu n’as rien dit au début, on te regardait, on était tous plus jeunes. Et tu as sorti cette phrase incroyable : « Ce qui va changer, c’est que maintenant, je vais dire « non » ; quand ça m’emmerde, quand j’ai pas envie, quand je suis fatiguée, je vais dire « non ». »

Et moi j’étais là, j’avais 20 ans et je t’ai bien écoutée, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. La phrase a rebondi un moment dans ma tête et a fini par rencontrer un réseau de pensées accueillant. Elle est restée là, elle a pris sens, elle s’est coulée dans mes fondations en épousant mon histoire.

Je voulais te dire que les conséquences de cette discussion ont été durables et profondes.

Grâce à toi, j’ai échappé à toutes les soirées auxquelles je ne voulais pas me rendre, ces dîners, ces fêtes auxquelles je savais que j’allais m’ennuyer, ces moments avec des gens que je ne voulais pas forcément recroiser (ceux-là-mêmes dont, au moment de les quitter après un dîner, au seuil de leur porte, on sait qu’on ne les reverra pas).

Il est vrai que parfois je ne voulais pas froisser, alors je disais que je viendrais, « oui, oui, bien sûr, c’est à quelle heure ? », attendant la dernière minute, voire dépassant de 15 minutes l’heure du rendez-vous convenu, attendant un « Bah alors, tu es où ? » pour envoyer un sms : « Dsl, je viens de me faire kidnapper par les renseignements israéliens (top du top en matière de sécurité intérieure), je ne viendrai pas ce soir, je te tiens au courant… »

J’ai aussi échappé au prince pas si charmant et à tout un tas de moments très moyens, recherchant l’absolue sincérité des relations, et laissant de côté les rencontres à demi consenties, à demi satisfaisantes.

J’ai sauvé un paquet de temps de qualité dans ma vie, j’ai lu beaucoup, j’ai écrit, j’ai dessiné, chanté, et j’ai aussi beaucoup, beaucoup aimé. On m’a jugée bizarre, secrète, mystérieuse, mais aussi « enfant gâtée » car je faisais « ce qui me plaît ».

Le 31 décembre 2019, une « amie facebook » de 49 ans a pris la grande résolution de dire « non ». J’ai repensé à toi. J’ai trente ans d’avance. Grâce à toi.