Sublimation

« Mais alors, c’est comme si tu habitais chez elle ?!
– Oui, je sais… Je pense que c’était dû à la différence de salaire, même si elle ne voulait jamais que cela rentre en ligne de compte dans notre quotidien. »

Depuis que je n’ai plus écrit.

Tout a commencé quand je me suis rendu compte que j’étais amoureuse. Amoureuse d’une autre femme. Sans m’être dit une seule fois que c’était fini, sans lui avoir dit une seule fois que cela ne pouvait plus continuer. Douze ans. Je suis tombée amoureuse très, très fort, comme une adolescente. C’était une catastrophe. Et des gloussements de bonheur et des tourments et des nuits sans sommeil et une perte de conscience du temps et des autres telle que j’avais la sensation de flotter tout le temps. Comme si mon cœur s’étirait, s’étirait pour embrasser toutes mes amours, et que les contours de ma vie devenaient flous, et que je ne remontais plus jamais à la surface pour ôter mon masque. Tout en moi s’est élargi.

Dans mon souvenir, il n’y a pas eu de discussion. J’ai avoué. On m’a demandé de choisir. J’ai refusé d’abandonner. C’était stéréotypique, binaire, et très violent. Depuis, j’ai déménagé deux fois.

Mon envie d’écrire s’éveille de nouveau depuis une ou deux semaines. C’est possible, c’est possible de l’écrire !

Lettre à Myriam

A l’été 1998, je faisais un stage au sein du magazine municipal de B., sous ton regard. Je fêtais mes 20 ans le jour de l’arrivée du tour de France, et toi tes 40 ans dans les mêmes eaux. Tu avais invité un petit groupe de personnes, il y avait Cédric, le caméraman costaud à qui je demandai plusieurs fois de s’étendre complètement sur moi, ce qui m’apaisait incroyablement. Il disait : on flirte, je n’avais jamais entendu ce mot. Il faisait chaud, on était sur ta terrasse. Et puis quelqu’un t’a demandé ce qui allait changer avec tes 40 ans ; c’est pas rien 40 ans, c’est l’essentiel de tout ce qu’on peut expérimenter dans une vie : l’amour, les enfants, les voyages, un métier, et toute la somme de nuances émotionnelles possible. On avait 20 ans d’écart, et je t’observais avec curiosité, tu aurais pu être ma mère ! Tu n’as rien dit au début, on te regardait, on était tous plus jeunes. Et tu as sorti cette phrase incroyable : « Ce qui va changer, c’est que maintenant, je vais dire « non » ; quand ça m’emmerde, quand j’ai pas envie, quand je suis fatiguée, je vais dire « non ». »

Et moi j’étais là, j’avais 20 ans et je t’ai bien écoutée, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. La phrase a rebondi un moment dans ma tête et a fini par rencontrer un réseau de pensées accueillant. Elle est restée là, elle a pris sens, elle s’est coulée dans mes fondations en épousant mon histoire.

Je voulais te dire que les conséquences de cette discussion ont été durables et profondes.

Grâce à toi, j’ai échappé à toutes les soirées auxquelles je ne voulais pas me rendre, ces dîners, ces fêtes auxquelles je savais que j’allais m’ennuyer, ces moments avec des gens que je ne voulais pas forcément recroiser (ceux-là-mêmes dont, au moment de les quitter après un dîner, au seuil de leur porte, on sait qu’on ne les reverra pas).

Il est vrai que parfois je ne voulais pas froisser, alors je disais que je viendrais, « oui, oui, bien sûr, c’est à quelle heure ? », attendant la dernière minute, voire dépassant de 15 minutes l’heure du rendez-vous convenu, attendant un « Bah alors, tu es où ? » pour envoyer un sms : « Dsl, je viens de me faire kidnapper par les renseignements israéliens (top du top en matière de sécurité intérieure), je ne viendrai pas ce soir, je te tiens au courant… »

J’ai aussi échappé au prince pas si charmant et à tout un tas de moments très moyens, recherchant l’absolue sincérité des relations, et laissant de côté les rencontres à demi consenties, à demi satisfaisantes.

J’ai sauvé un paquet de temps de qualité dans ma vie, j’ai lu beaucoup, j’ai écrit, j’ai dessiné, chanté, et j’ai aussi beaucoup, beaucoup aimé. On m’a jugée bizarre, secrète, mystérieuse, mais aussi « enfant gâtée » car je faisais « ce qui me plaît ».

Le 31 décembre 2019, une « amie facebook » de 49 ans a pris la grande résolution de dire « non ». J’ai repensé à toi. J’ai trente ans d’avance. Grâce à toi.

Photographies

Se souvenir sans photographies.

Les trois seules photographies de moi avec ma mère ont été prises par mon père. La première date de la maternité, dans les jours qui ont suivi ma naissance : je suis dans ses bras dans un pyjama pêche, les yeux vitreux. La deuxième, en noir et blanc, a été prise un peu plus tard : ma mère est de dos, sa chevelure occupe la moitié du cadre, j’ai la tête posée sur son épaule. C’est une belle photographie. La dernière nous montre d’un peu loin, j’ai un an environ, elle me tient la main et nous marchons, sa tête est légèrement penchée vers moi, ses cheveux lui cachent le visage.

Fin de séance. Rideau baissé.

Pour le Noël de mes 10 ans, mon père m’offre un petit appareil photo, et une pellicule couleur. De retour à Limoges, je prends ma mère à l’improviste. Elle est en train de faire du repassage dans la salle de bains. Elle se précipite sur moi et m’arrache l’appareil des mains. Je lui résiste, mais elle réussit à l’ouvrir et tire sur la pellicule. C’était ma première pellicule. Il y avait mes souvenirs de fête. Et un premier regard sur le monde enregistré qu’il m’aurait plu aujourd’hui de retrouver.

Je n’ai pas de photo de ma mère avec moi. Pas parce qu’elle ne m’aimait pas. Mais parce qu’elle ne voulait pas que des photos d’elle circulent. Elle ne s’aimait pas ? Je n’ai pas de photo de ma mère qui me tiendrait contre elle en souriant. Même après, même jamais. J’anticipe sur le fait que nous nous reverrons aux funérailles de sa mère et que je demanderai à quelqu’un de nous prendre toutes les deux. Moi vieille et elle encore plus, de face, vêtues de noir.

Je me rappelle, quand j’étais enfant, déchirer les photos était une activité du dimanche comme une autre. Pas les déchirer pour les jeter, mais pour les remanier. Elle recadrait les photos, elle altérait en fait nos futurs souvenirs en découpant les personnes qui lui déplaisaient des tablées et des groupes. Elle-même n’avait pas d’appareil. (Avait-elle un album photo ? J’ai vu les premières photos de ma mère enfant chez ma grand-mère et d’autres photos dans les albums de mon père.) Donc, quand je dis « déchirer les photos », je devrais ajouter « les photos des autres », c’est-à-dire celles que mon père et mon beau-père nous envoyaient, à mon frère et moi, pour qu’en leur absence on se souvienne d’eux et des bons moments passés ensemble.

Des mesures ont été prises assez rapidement par mon père qui faisait refaire les photos en plusieurs exemplaires afin de constituer un album photo parallèle, sans suppression ni troncage.

Mais je cherche et cherche encore dans ma mémoire ces images de ma mère et moi qui rions ensemble, rien que du bonheur d’être ensemble.

Age ressenti, âge à l’ombre, fort pourcentage de risque de vieillissement

Je sens que je vieillis au fait que j’ai de plus en plus de plaisir à être entourée de gens plus jeunes, et de moins en moins à passer des soirées avec des congénères, ce qui était exactement le contraire avant.

Il semble que je ne suis pas la seule que vieillir préoccupe (Florent Pagny aussi). J’ai beaucoup aimé cet enchaînement : Vieillir avec panache, et sans thyroïde. C’est un zeugma. C’est comme dans : « J’ai pris le bus aujourd’hui et un sacré coup de vieux ».

Le vertige d’une fondue

Virginia Charlotte Christa

Je ne vais pas parler de cuisine.
Ni de vertiges.

Je lis en ce moment (en allemand, versprochen) la correspondance de Christa Wolf et Charlotte Wolff, rassemblée dans un livre sous le nom de Ja, unsere Kreise berühren sich (Oui, nos cercles se touchent, éd. des Femmes, 2006). On est en 1983. Christa et Charlotte ne sont pas exactement de la même époque, mais il y a une admiration mutuelle, et puis ce sentiment d’être réunies sous les étoiles par l’unique magie de porter, à une lettre près, le même nom de famille. Christa est écrivain, Charlotte est psychologue, sexologue. Christa doit attendre que quelqu’un traverse Berlin pour poster ses lettres et qu’elles partent « directement » (sic). Charlotte écrit de Londres, mais en allemand, sa langue maternelle. L’une vit en Allemagne de l’est un mariage heureux, entourée d’enfants et de petits-enfants ; l’autre souffre d’une solitude qu’elle réclame et subit tout à la fois.

Il me semble percevoir, dès les premières pages, comme une histoire d’amour qui débute, non pas de Christa vers Charlotte, mais de Charlotte vers Christa. Ses petits messages sont plus fréquents et son envie de savoir si Christa les a bien reçus un peu plus insistante. La gamme des mots qu’elle utilise se fait plus tendre. Je ne sais pas, c’est quelque chose que je ressens, malgré le vouvoiement et les formules de respect ou d’admiration plus convenues, malgré aussi le fait que la première pourrait être la fille de l’autre. Je vérifie cette intuition sur Wikipedia : j’apprends que Charlotte Wolff a 86 ans à l’époque (il lui reste deux ans à vivre, mais elle l’ignore), et elle est effectivement lesbienne. Cet échange de lettres devient pour toutes ces raisons encore plus bouleversant. Par exemple, quand Charlotte décrit cet état d’ébullition intellectuelle dans lequel elle se trouve depuis des années et qui la pousse à écrire sans relâche…
Mais ce n’est pas seulement cela.
Charlotte est née en 1897. En 1933, elle décide de fuir le nazisme et s’installe à Paris où elle fréquente le milieu surréaliste. Quelques années plus tard, elle va s’installer à Londres et rencontre, par l’intermédiaire des Huxley, Virginia Woolf, T. S. Eliot et G. B. Shaw. Pour une fondue comme moi, cette histoire devient tout à fait vertigineuse. Voilà trois femmes écrivains qui portent quasiment le même nom (dans l’ordre chronologique : Woolf, Wolff et Wolf), issues de trois générations successives, qui sont soudainement reliées par des rencontres, mais aussi par le cœur et l’esprit – libre -, et dont les pensées sont comme transfusées d’un corps à l’autre, sur une période d’un peu plus d’un siècle. Soudain, cette Charlotte Wolff que je ne connaissais pas hier apparaît comme le chaînon manquant entre V. Woolf, que j’ai tant et tant lue plus tôt, et Chr. Wolf, pour qui j’ai développé en l’espace de 20 ans une maniaquerie de groupie. Je suis soufflée. (Mais pas au fromage, toujours pas.)

Tentative d’effraction

Alors que je donne l’adresse de ce blog à deux personnes qui me connaissent un peu (mais pas tant que ça), je fais ce rêve d’effraction dans lequel je suis dans mon lit la nuit, et j’entends des voix d’hommes derrière la porte de l’appartement. Ils essaient une clé mais elle ne passe pas, ils argumentent dans une langue étrangère, essaient encore, mais cela ne marche toujours pas. J’espère qu’ils n’ont pas cette clé sur eux. En fait je suis intimement certaine qu’ils ne l’ont pas, pas cette fois en tout cas. Mais ils ne partent pas, des clés tombent par terre, ils parlent plus fort. Je me réveille, ils s’évanouissent. Je sais qu’ils sont partis, je n’ai même pas besoin d’aller voir.

J’ai sur un porte-clés toutes les clés des appartements dans lesquels j’ai vécu enfant et adolescente, copiées pour que je puisse rentrer seule après les cours. Garder la clé, c’est aussi ce que font les exilés, les « forcés de partir ». Mon enfance et mon adolescence sont rangées dans des tiroirs qui ferment à clé. Ma mémoire est un dressing. J’ai beaucoup de chance.

Prenez tout, que j’aie la paix !

Déjà 60 pages déposées ici. Et pourtant j’ai l’impression de n’avoir rien dit. Que tous ces textes sont vides. Ce qui me plaît toutefois, c’est la sensation de permanence que me donne le cloud Internet. Ce n’est pas publié, mais ça y ressemble, je suis même certaine que le pilon ne passera pas par là. Il faudrait tout recommencer car l’essence n’y est pas, parce que je ne suis pas satisfaite, parce que ces histoires me teintent et les mots n’en disent rien. Cependant, je prends ma défense, d’abord je n’ai pas fini ; ensuite il ne me reste qu’une deuxième moitié de vie, et je ne compte pas la passer à ressasser prématurément la première. Maintenant il faudrait que je sois lue pour que les mots se dispersent, voyagent (pour le dire gentiment, mais en fait) qu’ils dégagent et disparaissent.

Scrupules

Peu importe pour le lecteur que ce que j’écris soit exact ou non. De toute façon, ça ne l’est pas, malgré tous mes efforts.
Mais c’est plutôt Morrissey la bande-son de mon année à Gaza. Tous les albums de Morrissey. Et cette chanson, sans vouloir forcer les oreilles de quiconque, trempez-y une de vos trompes d’Eustache. C’est à peu près tout le pathos que je me réserve.

Stripped in Gaza

C’est difficile, là encore. Mais peut-être plus encore que les autres lieux. Parce que Gaza a été mon dernier point de broderie avant la majorité. J’ai toujours eu l’impression d’avancer dans ma vie en points de chainette, avec de grands pas en avant qui sont en fait des boucles qui reviennent en arrière s’ancrer dans les précédentes. C’est un point solide, mais qui peut se défaire très facilement si on ne le continue pas en-dehors du tissu. Raconter Gaza, ce n’est pas raconter une première expérience à l’étranger, ce n’est pas parler de ce que c’est que d’être une jeune fille de 17 ans qui part quelques mois en programme linguistique. C’est une continuité. Le tissu est peut-être un peu plus rêche qu’auparavant, mais j’avance tout de même. Je n’ai pas de vie sociale, mais je ne suis pas la seule au monde. Et dans mes oreilles passent RATM, Smashing Pumpkins, Faith No More… Moi aussi je me radicalise en quelque sorte. Je mets des Docs montantes 16 trous et je ne me peigne plus les cheveux. Moi aussi je suis une riot grrrl, je suis (j’aimerais être une petite copie de) Kim Deal (the Breeders), Nina Gordon (Veruca Salt) ou Donita Sparks (L7). Et pourquoi ? Parce que : quelle joie de vivre !

Aujourd’hui, le temps file à toute vitesse, mais à 17 ans, dix mois suffisent à « changer sa bonne femme ». Dix mois dans la passion, ça rend aveugle, non ? Le strip de Gaza, je me le suis mis bien sur les yeux.

Je porte des jeans larges et 2 ou 3 chemises superposées.
Je suis empêchée de sortir de me faire des amis de danser de chanter de boire de voyager de faire du sport de rire de voir mes grands-mères mon frère. Je n’ai pas de réponse à cela.
On ne fugue pas de Gaza. On ne fait pas le mur à Gaza. On ne s’amuse pas à s’amuser à Gaza.
Si tu n’as pas un minimum de vie intérieure, tu ne survis pas. Mais dans ce domaine, je suis sacrément expérimentée. En moi, j’ai toute une bande de jeunes, comme Renaud, et en outre je suis sur-adaptable. ‘Til I break my gueule…

198 753 révisions

Je continue de réviser mon texte sur Koweït. C’est sans fin. Les souvenirs les plus précis ne sont pas forcément les plus précieux. D’autres s’imposent à moi que j’avais oubliés alors que j’effectue ma 198 753e révision. Je ne sais qu’en faire, je dois trancher pourtant. J’efface, je copie-colle, je déplace. J’ajoute du sentiment. Les faits ne sont rien sans émotion. Une pièce où j’ai eu peur n’est pas la même chose qu’une pièce où j’ai pleuré.

Le souvenir vient, accompagné d’images, c’est quelqu’un, c’est une sensation, c’est une micro-histoire, arrachée d’un continuum. On parle souvent du « fil des jours », mais la vie n’est pas un fil en deux dimensions, c’est une pâte épaisse, un empilement de sensations, des causes et des conséquences. La vie, c’est le matelas de la Princesse au petit pois.

Ma petite voix me dit que je devrais tout de suite relire le début des Essais de Montaigne…

Arrachée

J’essaie d’écrire sur notre arrivée au Koweït au début de l’automne 1992, un casque sur les oreilles branché sur deezer, quand la voix si mélancolique de Rufus Wainwright sur « Going To A Town » (une reprise de Georges Michael) me tire des larmes… « Making my own way home./ Ain’t gonna be alone/ I have a life to lead, America.. » et je suis soudain brutalement arrachée à l’écriture. My home is where my heart belongs, and that’s from where I’m writing today… C’est à Koweït que j’ai appris à parler l’anglais pour la première fois.

Je lis le Journal de l’année 1991 de Pierre Bergounioux. Je suis troublée par ses réflexions sur son travail d’écrivain, et me reconnais dans sa méthode de relecture et de réécriture, ses déconvenues. En 1991, il a exactement mon âge aujourd’hui. Il parle de 1991, et moi aussi. Je lis dans un commentaire Amazon que c’est un « imposteur doué ». Encore heureux.

Cassos, moi, jamais !

Ce n’est pas parce que ma mère s’est enfuie avec nous sans boulot et en volant mon petit frère à son père qu’on est des « cassos » !
Ce n’est pas parce qu’elle a échappé aux services sociaux qu’on n’est pas des « cassos » !

Ce n’est pas parce que j’écris cette histoire qu’elle gagne en noblesse et perd en… « cassossité » ?!

Mais, tout de même, de bonne foi : mais si ! « Graaave » !

En butte

Plus je tourne autour de cette petite fille que j’étais, plus elle m’échappe. Il était tellement plus facile de parler des autres, parents, grands-parents… Je ne parviens pas à la saisir, comme si elle manquait d’épaisseur, comme si elle avait pu exister sans responsabilité ni indépendance morale. Comme si tout ce que je pouvais écrire était faux. C’est que je ne veux pas m’en mêler. J’ai essayé de poser comme principe à cette recherche la neutralité. Juger aujourd’hui des souvenirs au travers des strates du temps et du tamis à géométrie variable de ma mémoire, je ne l’accepte pas. Déjà qu’une part de moi le fait rien qu’en choisissant des mots pour parler de ce qui reste de ce temps-là, déjà qu’une pointe de culpabilité me pique quand je relis certains passages, il ne faudrait pas que je perde toute vigilance et que je regarde cette enfant avec de quelconques sentiments.

Quand j’ai de la fièvre, je suis PDG

Quand j’ai de la fièvre parce que je me défends contre le vaccin, je reste à la maison. Je pense à tout ce que je pourrais faire si je n’étais pas scotchée au coussin chauffant. Je suis plutôt productive quand je procrastine ainsi : je crée sans effort un deuxième blog que je consacrerais uniquement à la partie « réflexions quand j’écris », un peu à la manière de Christa Wolf, quand elle écrit Trame d’enfance. Ou bien (et je peux facilement revenir sur ce que je viens de penser) je pourrais aussi conserver ce blog-ci pour les réflexions et en créer un autre pour les « Mémoires ». Ou est-ce une autobiographie ?

Sans y consacrer une éternité, je renomme aussi tous mes titres d’articles sans leur attribuer de numéro. Ils ne servent à rien, ces numéros, puisque j’ai à peine travaillé mes enchaînements. Et puis il faut que j’en profite maintenant, puisque je ne suis pas indexée sur les moteurs de recherche.

Cerise sur le gâteau (et je me réjouis d’avoir pu n’y consacrer que quelques secondes, rien de plus léger qu’une pensée passagère) : je crée rapidement des liens internes entre les personnes citées, les lieux, pour créer plus de profondeur en utilisant cette technique tridimensionnelle qui rend la navigation plus amusante, mais aussi plus durable.

Et tant que j’y suis, en parlant de liens, je pourrais aussi faire des renvois entre les deux blogs, ce qui améliorerait à coup sûr un éventuel référencement.

Quand je suis allongée sur ce coussin chauffant, forcée de ne rien faire, j’ai des idées de chef de projet. Je comprends l’utilité des canapés dans les bureaux des PDG.

Mises au point

J’écoute Billie Eilish.

Je relis les trucs plats que j’écris. Plats comme les phrases de Christiane Rochefort. On se demande même comment c’est possible d’écrire aussi froidement des événements aussi troublants. Comme si ce n’était rien, ou comme si j’étais insensible. C’est que je ne suis pas là pour faire pleurer. Je ne suis pas non plus, mais alors pas du tout, la reine de l’intensité émotionnelle. D’abord, faut pas croire, j’ai déjà des litres de larmes qui ont coulé sous les ponts de pas mal de villes dans le monde, et puis, hein, j’ai déjà raconté ces choses-là. C’est bien pour cela qu’il n’y a pas d’ordre dans ce que j’écris. Enfin, mettons les choses au clair une seule fois : je n’ai pas de scandales à révéler, je n’écris pas pour aller porter plainte, et ce blog n’est pas une répétition avant le grand Metoo des maltraitances infantiles. J’ai déjà, d’une façon ou d’une autre, dit les choses à ceux qui devaient les entendre.

Mémoire sélective

Les parents sont contrariants. C’est le moins qu’on puisse dire. Des dizaines d’années ont passé et pourtant je ressens toujours cette même cage de coton sur ma tête lorsque je suis avec eux. Ca me rentre dans les yeux et dans les oreilles, je ne suis plus capable de penser quoi que ce soit par moi-même. Leurs bavardages se répandent comme un nuage d’encre dans mon vase de pensées.

Ainsi j’ai peu de souvenirs des voyages que nous avons faits mon père et moi, en comparaison de ceux que j’ai pu faire avec d’autres personnes ou par moi-même.

Superfist

Je passe ma vie à bâcler. Même ces quelques lignes, je ne les relis pas, je ne suis pas « à fond », je ne suis pas « au fond ». Parce que j’ai une heure devant moi, une heure interrompue par la machine à laver qui sonne, par les notifications du boulot, et d’autres alarmes que mon cerveau sait très bien activer (rendez-vous, courses, etc.).

J’aurai bien le temps

Je n’aurai peut-être plus rien à dire, quand elles ne seront plus là. Mes aïeules absentes, ma fille en allée. Mon ascendance, ma descendance. Les femmes qui me retiennent et me projettent. 

Entre passé et futur, je me sens comme un ballon de baudruche dans le vent. Seulement quand j’y pense en surface. Si je fais l’effort de penser plus fort et plus mordant, l’image disparaît. Alors le ballon se dégonfle et retombe mollement sur le bord d’un immeuble en béton bien dégueulasse dans une ville sans âme. 

(Peu importe ce que j’écris. C’est déjà ça.)